Fragments Naturels
La nature recèle un paradoxe fascinant : ses formes, apparemment infinies et chaotiques, s’avèrent pourtant régies par des principes mathématiques d’une précision inouïe. Dans les volutes d’une coquille, les ramifications d’une fougère ou les fractales d’un corail, on décèle un code subtil qui semble, à première vue, incompatible avec l’imprévisibilité du vivant. Pourtant, c’est précisément cette tension entre l’aléatoire et le calculé qui nourrit la création des bijoux Fragments Naturels, conçus par le studio Sine Fine.
Au cœur de cette démarche se trouve la suite de Julia, définie par l’équation :
Ici, C est un nombre complexe possédant une partie réelle et une partie imaginaire. En jouant sur ces composantes, l’animation évolue à chaque itération : de nouveaux points surgissent tandis que d’autres disparaissent, révélant une structure tantôt méthodique, tantôt imprévisible. Dans ce travail d’animation en deux dimensions, des milliers d’images fractales sont générées et superposées, chacune représentant une itération différente de la suite.
Pour donner vie à ces formes, Sine Fine s’inspire d’une technique de modélisation médicale : le programme utilisé, à l’origine, fut développé pour reconstituer en 3D des organes à partir de tranches d’IRM. Les fractales sont ainsi d’abord animées en deux dimensions, chaque image se superposant à la précédente à la manière des tranches d’IRM qui reconstituent un organe en 3D. Il en résulte un volume fractal encore brut, dont les courbes, spirales et volutes foisonnantes sont ensuite affinées numériquement, à la manière d’un joaillier taillant une pierre précieuse.
Une fois cette étape virtuelle achevée, le processus de fabrication peut commencer. Le fichier 3D (ou Mesh) est découpé et imprimé en résine calcinable, minutieuse reproduction de la fractale modélisée. Ce modèle est ensuite enveloppé dans un moule de plâtre résistant à la chaleur. Lors de la cuisson, la cire fond et s’échappe, ne laissant qu’un vide parfait dans lequel on coule un métal précieux — argent, or ou titane. Lorsque le moule est brisé, le bijou apparaît, révélant ses détails complexes, ses dentelures impossibles et ses textures subtiles qui scintillent sous la lumière.
Evil Fragment – Or Jaune
Ainsi ont vu le jour les bijoux rassemblés sous le nom de Fragments Naturels. Ces formes, à la fois imprévisibles et harmonieuses, étonnent l’esprit dès qu’on les observe ou qu’on les effleure : elles sont à la fois parfaitement étrangères et étrangement familières. Elles évoquent des fragments de la nature elle-même, découverts et recueillis, bien davantage que créés. Elles ne sont pas seulement abstraites ; elles éveillent quelque chose d’intime, de profondément humain, presque biologique et vivant.
Pendentifs
Des pendentifs comme Métabone ou Evil Fragment rappellent des fossiles marins, des os sculptés par le temps ou des filaments liquides saisis en plein mouvement. Ce phénomène de paréidolie, où l’on croit discerner des formes connues dans des motifs abstraits, transforme chaque bijou en une expérience méditative. Cette analogie rejoint pleinement la tradition des pierres de lettrés dans la culture chinoise, lesquelles invitaient déjà le regard à une contemplation silencieuse, à y projeter montagnes, cascades ou créatures mythiques. En s’attardant sur les aspérités, les creux ou les veinures, on découvre ainsi tout un univers imaginaire dissimulé derrière le premier regard. Comme ces pierres, Fragments Naturels offre un terrain propice à la réflexion et à la contemplation. Fixer leurs courbes aide à méditer, à libérer l’esprit du tumulte et à plonger dans un état de calme introspectif.
La première collection, baptisée Arché-structure, rassemble douze pièces : trois bagues, trois paires de boucles d’oreilles et six pendentifs. Le nom Arché-structure fait écho à la notion d’archétype : ces schémas fondamentaux, enfouis dans la nature et dans l’inconscient collectif, semblent avoir toujours existé. Ces structures hors du temps semblent influer sur des phénomènes physiques, biologiques, psychologiques et culturels. Les Orbes Sine Fine, par exemple, s’enroulent sur elles-mêmes à la manière d’un Ouroboros, ce serpent qui se mord la queue et symbolise le cycle éternel.
Orbis Sine fine – Or Rose
Bagues
Porter un Fragments Naturels, c’est porter une géométrie vivante, une trace d’infini, un souvenir d’un monde que l’on croit familier mais qui demeure insaisissable. En effet, ces formes — issues des profondeurs mathématiques de la nature — semblent avoir été conçues pour épouser le corps humain. Elles suivent des proportions et des courbes étrangement similaires à notre propre anatomie, comme si elles avaient toujours appartenu à notre structure.
Ces bijoux soulèvent une question fondamentale : où commence le naturel, et où finit l’artificiel ? La fractale, bien qu’issue de calculs mathématiques, existe partout dans la nature. Elle se cache dans les nervures d’une feuille, dans les ramifications des rivières, dans les choux romanesco et dans les circonvolutions de notre cerveau. La technologie ne fait que révéler ce qui était déjà là, latent, attendant d’être découvert. Dans cette quête, les Fragments Naturels incarnent une forme de biomimétisme : une tentative d’imiter l’ingéniosité de la nature pour créer quelque chose qui transcende les frontières entre le vivant et le numérique.
Ces bijoux ne sont pas de simples ornements. Ils sont des objets contemplatifs, qui invitent leur porteur à s’accorder un instant de pause, à plonger dans leur complexité et à interroger leur propre regard. Chaque courbe, chaque spirale, chaque volute raconte une histoire : celle d’une rencontre entre le langage mathématique et le langage poétique, entre la rigueur scientifique et la sensualité du métal précieux. On pourrait dire qu’ils sont des talismans modernes, des fragments d’un univers que l’on ne pourra jamais totalement saisir, mais dont l’attrait demeure irrésistible.
Boucle d’oreil
Dans leur conception, ces bijoux incarnent une tension fascinante entre l’ultramoderne et l’organique. Ils sont à la fois le fruit d’une exploration scientifique et une ode à la beauté intemporelle. Ils rappellent que l’art, comme la science, est une quête de compréhension, un désir de capturer l’invisible et de le rendre tangible. Ainsi, chaque Fragments Naturels devient plus qu’un bijou : il devient un pont entre deux mondes, un éclat d’infini que l’on peut porter au quotidien, une invitation à contempler l’harmonie cachée de l’univers, inscrite dans la matière elle-même.